Les manuels scolaires, les directives de santé publique et le matériel éducatif pour les patients conceptualisent généralement l’obésité comme un trouble de l’équilibre énergétique. Selon la vision conventionnelle reflétée dans le modèle de bilan énergétique (EBM), la suralimentation génère un excès d’adiposité. Le traitement diététique se concentre sur la diminution de l’apport énergétique pour réduire la graisse corporelle stockée.
Un autre point de vue, le modèle glucides-insuline (ICM), avance une voie opposée : une adiposité accrue entraîne une suralimentation.
Au lieu de cela, le traitement diététique vise à réduire le stockage de graisse corporelle principalement par le biais de mécanismes hormonaux qui affectent directement le tissu adipeux, produisant ainsi un bilan énergétique négatif.
L’ objectif de cette revue est de comparer les caractéristiques des deux modèles, d’évaluer la force des preuves scientifiques et de préciser les améliorations dans la formulation de l’EBM pour promouvoir un choc constructif des paradigmes.
Le nouveau modèle de bilan énergétique : focus sur l’apport alimentaire |
Les deux modèles d’obésité partagent une caractéristique commune : la régulation homéostatique présumée d’un paramètre physiologique critique pour favoriser un fonctionnement optimal. Dans le MBE, le poids corporel ( ou la graisse corporelle ) est la variable régulée, une possibilité avec un certain soutien évolutif : alors qu’une graisse corporelle adéquate est nécessaire pour survivre en période de pénurie alimentaire, un excès de graisse pourrait augmenter le risque de prédation.
Le nouveau MBE propose que le cerveau contrôle la prise alimentaire pour réguler le poids corporel grâce à des signaux du système endocrinien, métabolique et nerveux qui agissent en réponse aux besoins énergétiques dynamiques du corps ainsi qu’aux influences environnementales. Ce système de contrôle se concentre sur la récompense, l’appétit et le traitement sensoriel impliquant la saillance, le désir et la motivation qui opèrent principalement en dehors de notre conscience.
L’obésité est le résultat de la disponibilité et de la commercialisation accrues d’une grande variété d’aliments ultra-transformés, peu coûteux, pratiques et riches en énergie, riches en portions, en gras et en sucre, et pauvres en protéines et en fibres. Ces expositions provoquent une suralimentation et un excès d’énergie se dépose dans la graisse corporelle.
Le modèle glucides-insuline : un cas particulier du paradigme métabolique |
Le MCI représente un paradigme opposé, dont les origines remontent au début du 20e siècle. Considérez l’ apport de carburants métaboliques dans le sang comme paramètre régulé. Même si une graisse corporelle adéquate peut faciliter la survie en cas de famine, l’accès aux carburants métaboliques est nécessaire à la survie immédiate, étant donné la dépendance de tous les tissus, et en particulier du cerveau, d’un approvisionnement continu en carburant.
Ce modèle propose qu’un régime à charge glycémique élevée avec de grandes quantités de glucides à digestion rapide (c’est-à-dire le sucre libre, les céréales transformées, la plupart des légumes féculents) provoque des réponses hormonales qui inhibent la mobilisation des graisses (lipolyse) et favorisent le dépôt de graisse dans le tissu adipeux.
La consommation d’un repas riche en charge glycémique produit un rapport élevé d’insuline sur glucagon et de sécrétion de GIP sur GLP-1. Ce profil hormonal hautement anabolisant déplace la répartition du substrat vers le dépôt, laissant moins d’énergie disponible pour les tissus métaboliquement actifs, y compris le cerveau, en particulier à la fin de la période postprandiale. Le cerveau répond à cet état métabolique en activant des voies qui contrôlent la faim et d’autres réponses appétitives pour favoriser l’apport énergétique.
Si un individu résiste à l’envie de manger en limitant la nourriture, les carburants métaboliques sont conservés grâce à une dépense énergétique réduite se manifestant par une fatigue (conduisant à un comportement sédentaire), une diminution de la thermogenèse due à une activité non physique, une efficacité musculaire accrue et d’autres mécanismes.
Preuve concernant les deux modèles |
L’évolution naturelle de l’obésité, qui se développe généralement sur des années ou des décennies, implique un stockage excessif de 1 à 2 grammes. de graisse/jour en moyenne trop faible pour être mesurée dans des études d’alimentation métabolique à court terme (c.-à-d. ≤ 2 semaines). Bien que cet effet puisse être observé dans des études et des essais observationnels à plus long terme, l’inférence causale à partir de ces données peut être limitée par une mauvaise observance des régimes alimentaires testés et par des facteurs de confusion.
De plus, peu d’études se sont concentrées sur l’enfance, une étape dynamique du développement de l’obésité. Bien que les études animales puissent élucider les mécanismes, leur traduction chez l’homme reste problématique. Pour ces raisons, la vaste littérature sur la pathogenèse de l’obésité peut être citée de manière sélective pour présenter des points opposés, chaque côté de ce débat s’opposant à l’autre.
> Recherche animale
Bien que les rongeurs et les humains n’aient pas évolué pour suivre le même régime alimentaire, la recherche expérimentale sur les animaux a été prise en compte dans ce débat.
Les problèmes méthodologiques peuvent être évités par un examen direct de la direction causale. Bien que les réponses hormonales aux macronutriments puissent différer d’une espèce à l’autre en raison d’une divergence évolutive, les mécanismes biologiques affectant le stockage des graisses sont hautement conservés, ce qui améliore le potentiel d’application des études sur les rongeurs à l’homme.
Dans le MBE, le régime alimentaire entraîne le dépôt de graisse en augmentant la consommation alimentaire. Par conséquent, lorsque des animaux soumis à un régime obésogène sont nourris en couple avec leurs compagnons de portée selon un régime de contrôle isocalorique, garantissant un apport énergétique égal, les effets sur la composition corporelle devraient être identiques.
Les études sur l’indice glycémique (IG) offrent un autre moyen de contourner les différences spécifiques aux espèces dans le métabolisme des macronutriments. Dans une ligne de recherche impliquant plusieurs souches et espèces de rongeurs, les effets de l’IG ont été examinés en remplaçant le type d’amidon, en contrôlant les macronutriments, les graisses saturées, le sucre et les micronutriments.
Bien qu’ils consomment moins de calories, ces animaux avaient plus de graisse corporelle au détriment des tissus corporels maigres. Bien que de multiples mécanismes (par exemple, le microbiome intestinal) puissent médier ces effets, ils contredisent une prémisse fondamentale du MBE, selon laquelle la composition alimentaire n’a pas d’effets caloriques indépendants sur les dépôts de graisse.
Les études sur l’action de l’insuline constituent une autre référence. Dans le MCI, l’augmentation de la sécrétion d’insuline favorise le stockage des graisses via des mécanismes périphériques directs. MBE, en se concentrant sur les actions centrales des hormones, semble prédire le contraire, étant donné les actions anorexiques de l’insuline dans le cerveau. Ces études sur l’adiposité, impliquant l’administration chronique d’insuline et des modèles génétiques de sécrétion d’insuline réduite, soutiennent le MCI.
> Cerveau et génétique
Si le système nerveux a évolué pour contrôler l’apport énergétique, le cerveau contrôle également pratiquement tous les aspects du métabolisme, y compris le métabolisme du glucose. De toute évidence, les facteurs génétiques influencent le risque d’obésité chez l’humain, l’héritabilité de l’IMC étant estimée à 30 % sur la base du séquençage du génome entier.
Ainsi, les études génétiques indiquent des voies impliquant l’obésité qui opèrent à l’intérieur et à l’extérieur du cerveau ; dans de nombreux cas, ceux-ci semblent conformes au MCI. Prises ensemble, les données sur l’expression génique ne font pas de différence définitive entre les deux modèles, compte tenu du rôle du cerveau dans le contrôle de la prise alimentaire et du métabolisme énergétique et dans la communication via des signaux neuronaux, métaboliques et hormonaux.
> Épidémiologie
S’appuyant sur des études observationnelles, le MBE affirme qu’il n’existe aucune preuve suggérant que l’apport en glucides explique les différences de poids corporel entre les pays, mais ces comparaisons écologiques ont peu de valeur pour cette variable. Les pays à forte consommation de glucides, par exemple, ont tendance à être pauvres, avec une proportion importante de la population sous-alimentée, mal nourrie et engagée dans une agriculture de subsistance.
De plus, les auteurs de ce modèle ignorent une longue et riche histoire d’observations liant l’émergence de troubles chroniques courants, notamment l’obésité, à des transitions nutritionnelles à l’échelle de la population qui incluent généralement une consommation accrue de céréales, de sucre et de boissons hautement raffinés. sucré
Les études de cohortes prospectives offrent une plus grande capacité à contrôler les facteurs confondants, en particulier le statut socio-économique, même si des facteurs confondants résiduels peuvent subsister. En outre, le poids corporel et d’autres mesures de l’adiposité sont particulièrement susceptibles d’avoir une causalité inverse (la tendance des personnes à modifier leur régime alimentaire en raison, plutôt qu’en raison, d’une prise de poids ou de l’obésité).
Alors que le MBE et le MCI s’accordent sur le fait que les données épidémiologiques suggèrent une variété de facteurs alimentaires possibles à l’origine d’un apport calorique excessif, d’autres auteurs soulèvent de nouvelles questions sur ce concept, du moins en ce qui concerne le stade actuel de l’épidémie. l’obésité aux États-Unis
D’après des enquêtes représentatives à l’échelle nationale, l’apport énergétique a stagné ou diminué depuis 2000 et l’activité physique a augmenté modérément, même si les taux d’obésité continuent d’augmenter. Ces tendances nécessitent la prise en compte d’autres explications causales, notamment celles liées au dysfonctionnement métabolique.
> Essais cliniques
Une méta-analyse récente n’a signalé aucune différence dans la perte de poids à long terme entre les régimes axés sur les macronutriments, citée par le MBE. Alors que d’autres méta-analyses comparant les régimes pauvres en glucides aux régimes riches en glucides suggèrent un avantage significatif, quoique modeste, pour les premiers. Malgré cela, l’interprétation des données probantes tend à confondre efficacité et mise en œuvre comportementale.
Les auteurs du MBE ont reconnu la nécessité d’essais d’une durée d’au moins plusieurs mois, notant que même de petites différences dans la dépense énergétique et l’équilibre des macronutriments peuvent théoriquement conduire à des différences significatives dans le poids corporel et la composition si les régimes sont maintenus pendant des périodes prolongées.
> Drogues
Le rôle dominant de l’insuline dans la physiologie des adipocytes, notamment la lipogenèse et la lipolyse, est reconnu depuis des décennies. Chez les patients diabétiques, l’insuline et les médicaments qui augmentent la sécrétion d’insuline ou qui agissent sur le métabolisme du tissu adipeux entraînent une prise de poids.
Certains de ces effets peuvent impliquer d’autres mécanismes compatibles avec le MBE, comme la réduction de la glycosurie. Cependant, la perte de poids induite par les médicaments réduisant la sécrétion suggère que l’action de l’insuline sur le stockage des graisses observée chez les rongeurs se produit chez l’homme.
Le MBE considère l’efficacité des agonistes des récepteurs GLP-1 contre l’obésité comme une preuve contre la CMI, car cette incrétine potentialise de manière aiguë la sécrétion d’insuline stimulée par le glucose. Cependant, le GLP-1 a d’autres actions biologiques pertinentes, notamment la réduction du taux de vidange gastrique (ce qui réduit la réponse glycémique).
Pour résumer les preuves liées aux deux modèles, les données animales démontrent que les dépôts excessifs de graisse peuvent évidemment être dissociés de l’apport énergétique, ce qui contredit une prémisse fondamentale du MBE. Dans les modèles animaux impliquant non seulement le régime alimentaire mais également les voies cérébrales censées jouer un rôle médiateur dans la prise alimentaire, l’obésité peut survenir sans augmentation de la consommation alimentaire.
Cependant, les données humaines présentent d’importantes limites méthodologiques qui ont jusqu’à présent empêché un test définitif des deux modèles. Pour faire progresser la science, des études d’une durée adéquate et des conceptions complémentaires seront nécessaires.
> Traduction clinique et adoption publique
Les deux côtés de ce débat s’accordent sur le fait que des changements fondamentaux dans l’environnement alimentaire sont à l’origine de la pandémie d’obésité. L’accent mis par le nouvel EBM sur un si large éventail de facteurs alimentaires offre peu d’informations pratiques innovantes.
Il est particulièrement préoccupant de constater qu’aucune relation causale avec la prise de poids chronique n’a été démontrée pour les facteurs alimentaires abordés par l’EBM autres que ceux impliquant également des voies liées au MCI (le sucre, qui est riche en glucose et en fructose ; les fibres, qui réduisent l’IG des glucides). ingérés ensemble ; et des protéines, qui réduisent l’IG des glucides ingérés ensemble et stimulent la sécrétion de glucagon).
Les autres objectifs alimentaires spécifiques au MBE comprennent : la densité énergétique (les changements aigus de la densité énergétique affectent l’apport à court terme), les graisses alimentaires (l’accent est mis sur la réduction des graisses dans l’alimentation) et la transformation des aliments (régime « ultra-transformé » versus « non-transformé » régime).
> Conflit de paradigmes
Il est essentiel de maintenir le contraste entre ces modèles concurrents pour clarifier la réflexion, éclairer un programme de recherche et identifier des moyens efficaces de prévention et de traitement.
Les auteurs du MBE affirment que le MCI a abandonné les préceptes fondamentaux, se référant aux précédentes formulations « adipocentriques » qui prétendaient considérer uniquement les actions de l’insuline dans le tissu adipeux. Cependant, cette caractérisation n’a pas été faite par les partisans de l’ICM et offre une fausse distinction. Le contrôle de la biologie du tissu adipeux par de multiples influences hormonales, autonomes et autres est reconnu depuis des décennies.
Même si la provenance du MCI est critiquée, le MBE présente des lacunes importantes, notamment :
- Manque d’hypothèses explicites testables. Comment les étapes clés du processus causal seront-elles interrogées ? Quelles études différencieront la voie causale proposée (la suralimentation entraîne une prise de poids chronique) de l’hypothèse contrastée du MCI ?
- Tout en affirmant que les opposants au MBE confondent physique et physiopathologie, ses auteurs affirment qu’il intègre des mécanismes physiologiques sous-jacents à la répartition de l’énergie, de sorte que les déséquilibres énergétiques globaux se reflètent principalement sous forme de déséquilibres graisseux, quelle que soit leur composition. Le régime.
- Manque de mécanismes impliquant des composants clés du modèle. Comment le nouveau MBE explique-t-il la prise de poids rapide au niveau de la population et les grandes variations au sein des individus au fil du temps ?
- Mépris des mécanismes métaboliques bien établis.
- Difficulté à expliquer l’histoire naturelle de l’obésité.
- Confiance dans les hypothèses qui ne font pas de différence entre les modèles.
Conclusions |
Pour les problèmes de santé publique insolubles, le but des modèles scientifiques est de guider la conception de recherches informatives et, en aidant à élucider les mécanismes causals, de suggérer des approches efficaces de prévention ou de traitement. Le nouveau MEE ne fait ni l’un ni l’autre. Au minimum, les futures formulations devraient :
1- Spécifier des prédictions orientées mécanistiquement et testables qui examinent le cheminement causal.
2- Expliquer pourquoi les réponses métaboliques défendent l’augmentation de l’IMC à l’échelle de la population.
3- Démontrer comment les effets caloriques indépendants de l’alimentation suggérés par la recherche clinique et démontrés par des modèles animaux peuvent être intégrés dans ce modèle.
Un choc constructif de paradigmes peut être facilité par la reconnaissance du fait que la preuve en faveur d’un modèle dans certains contextes expérimentaux n’invalide pas l’autre modèle dans tous les contextes, et que la pathogenèse de l’obésité chez l’homme peut impliquer des éléments des deux.
Enfin, nous soulignons que ce choc d’idées ne doit pas retarder l’action en matière de santé publique. Les céréales raffinées et les sucres ajoutés représentent environ un tiers de l’apport énergétique aux États-Unis et en Europe.
Les deux modèles désignent ces glucides hautement transformés , bien que pour des raisons différentes, comme principaux facteurs de prise de poids. Quelle que soit l’évolution du débat, il existe désormais un consensus sur la nécessité de remplacer ces produits par des glucides peu transformés ou des graisses saines dans la prévention et le traitement de l’obésité.